Au sortir de la brève réunion de l’hiver de 1966 qui avait eu lieu dans le vestibule de la Salle des Fêtes de Saulcy-sur-Meurthe, mon père, Sylvain Cuny, et moi avions en main ce précieux petit paquet de documents signés par des parents attestant leur volonté de voir leur progéniture participer à la création d’un club de football dans le village… Mais, puisqu’il était si malin, le conseiller municipal et président de Rhin-et-Danube, il n’aurait qu’à se débrouiller… tout seul.

Or, déjà, en consultant le cadastre, il avait découvert que l’ancien stade se trouvait dans la plaine inondable qui s’étendait à l’arrière de la mairie et qu’il jouxtait l’immense hangar dans lequel étaient entreposés toutes sortes de matériels ainsi que l’un des camions bennes de la commune… Mentalement, il y vit se dessiner les… futurs vestiaires…

Il n’y avait qu’un seul problème : le terrain lui-même n’était pas un bien communal… Il était plus ou moins laissé à l’abandon, certains agriculteurs venant, telle année plutôt que telle autre, le faucher après en avoir obtenu l’autorisation du propriétaire lui-même… qui n’était autre que la famille de Paul Coulombel… un nom qui nous dit tout à coup quelque chose…

Ainsi vit-on mon père rendre visite au professeur de droit de la Faculté de Nancy qui, quelques années plus tôt (précisément le 14 juillet 1961), lui avait remis pour moi, outre les conseils dont on sait la forte teneur, mon prix d’entrée, au premier rang des élèves du Village et des Cours, en classe de sixième du lycée Jules Ferry de Saint-Dié : le Mémento Larousse de près de mille pages qui ne nous a toujours pas quitté(e), Françoise Petitdemange et moi, près de soixante années plus tard…

Or, aujourd’hui, chacun sait, à Saulcy-sur-Meurthe et dans les environs immédiats, qu’il s’y trouve un stade Pierre Coulombel… du nom d’un illustre bienfaiteur, tandis que le souvenir de Sylvain Cuny a lui-même été très vite passé par pertes et profits…

Parmi les signataires des autorisations, il y avait, bien sûr, quelques agriculteurs disposant de tracteurs… S’en trouverait-il un qui se donnerait la peine de venir faucher ce champ sur lequel se concentrait désormais les regards de quelques dizaines de jeunes garçons ? De fait, c’est monsieur Simon (dit Courette), dont j’ai déjà dit que le pré jouxtant la maison de mon meilleur ami d’alors, Bruno Binaux, nous servait de terrain d’entraînement, qui a fait le nécessaire, en ne demandant rien à personne : son épouse et lui n’avaient pas d’enfant… et, bien qu’encore assez jeune, il devait lui-même bientôt finir ses jours en hôpital psychiatrique…

Avant d’en venir aux autres grands travaux, je vais avoir le plaisir d’évoquer le seul adulte qui se soit véritablement rapproché de mon père dans un moment somme toute très difficile : il s’agit de Claude Di Rocco, le frère aîné de Franco Di Rocco, gardien de but remplaçant de l’équipe première de Saint-Dié durant ces années-là. Avec nous, il a partagé tous les travaux manuels qu’il a été nécessaire d’effectuer, et dont on verra, par la suite, le détail. Dès qu’il pouvait se libérer de son travail, nous le retrouvions présent : ses parents et lui étaient arrivés quelques années plus tôt d’Italie, avec d’autres de leurs compatriotes qui avaient été logés dans ces baraquements que ma propre famille n’avait quittés qu’en 1956… Il paraît que les Français d’origine avaient autre chose à faire que de mettre la main à la pâte dans une initiative qui ne plaisait manifestement pas à tout le monde.

A quoi tout cela pourrait-il d’ailleurs servir ? Sinon, peut-être, à coûter de l’argent ?

Oui, au fait, à quoi cela servirait-il donc ? C’est la question que posait le premier article des statuts qu’il allait falloir rédiger… « Michel, c’est à toi de me dire pourquoi tu veux qu’il y ait un club de football à Saulcy. C’est-à-dire : quel est, selon toi, le but de l’association que nous allons créer ? »

Evidemment, j’y avais un peu réfléchi… Mais je n’étais pas vraiment sûr d’avoir trouvé la réponse définitive. Je pensais qu’en la donnant, je ne faisais que déblayer un peu le terrain. Alors, j’ai dit : « Pour développer l’esprit d’équipe »…

Tout à l’inverse des ornières dans lesquelles l’Histoire de France n’aura plus cessé de s’enfoncer… Et qui s’en soucie ?

Michel J. Cuny

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Michel J. Cuny en 1966-1967 : cette jeunesse qui aurait déplacé des montagnes